Nouvelles publications
Viennent de paraître aux éditions Les Hauts-Fonds deux ouvrages : Si peu que rien, par Roger Munier (Opus incertum janvier 1994 – février 1995) et Le monde sans moi Voir avec Roger Munier, par Sébastien Hoët (Avec six lettres inédites de Roger Munier à l’auteur).
Si peu que rien
par Roger Munier (Opus incertum janvier 1994 – février 1995) Les Hauts-Fonds
Ce livre est la première édition intégrale des carnets où Roger Munier consignait jour après jour ses pensées ou ses notations d’instants. Dans son esprit, ces notes et aphorismes étaient au départ destinés à une publication posthume, même s’il lui est arrivé d’en extraire pour les regrouper par thèmes et les publier en volume. Mais l’éditeur François-Marie Deyrolle avait su le convaincre de les faire paraître sous leur forme initiale, moyennant une sélection parfois drastique. C’est ainsi que furent édités cinq opus au fil du temps, couvrant les années 1980 à 1993 de ses carnets : Opus incertum I. (Deyrolle Éditeur, 1995), La chose et le nom (Fata Morgana, 2001), Opus incertum 1984 – 1986 (Gallimard, 2002), Le su et l’insu (Gallimard, 2005) et Les eaux profondes (Arfuyen, 2007). Le titre générique d’Opus incertum pour l’ensemble de la série – parfois relégué en sous-titre – renvoie à l’ancien vocabulaire du bâtiment, où il désigne « un mode d’agencement des matériaux par assemblage de pierres irrégulières s’enchâssant les unes dans les autres de façon à former un ouvrage continu ». Rien qui ne convienne mieux, selon l’auteur, à l’ensemble dont chacun des moments « pourrait s’entendre comme l’une des pierres d’un tel “opus”, isolée et d’importance variable, mais s’inscrivant dans un tout qu’on puisse espérer cohérent dans la masse. La méditation est une. » Quant au titre du présent recueil, « Si peu que rien », il avait été choisi par lui, projeté en note et retrouvé dans les feuillets d’origine.
La publication intégrale produit des effets inattendus. À commencer par un aspect « martelant » : les thèmes directeurs de la pensée de Roger Munier semblent traités comme dans une forge, tournés, retournés, modelés sous la frappe, galvanisés…
Jacques Munier, extrait de la préface
Le monde sans moi
Voir avec Roger Munier
Par Sébastien Hoët (Avec six lettres inédites de Roger Munier à l’auteur).
« Cet essai, le premier dans son genre, propose de voir le monde par les yeux d’un écrivain exceptionnel par l’endurance de son effort comme par l’acuité de son regard quand il sonde le monde que nous croyons familier. » Présentation de l’éditeur
À cette occasion, nous publions des extraits de la correspondance Roger Munier / Sébastien Hoët
Lille, le 6 avril 1999
Cher Monsieur Munier,
Je tiens à vous remercier de votre envoi de Contre-Jour. Je viens d’en achever la lecture, en prenant le temps qu’il faut consacrer à vos livres : ils requièrent cette patience, ce calme parfois mélancolique, qui sont ceux des compositions musicales que j’aime.
Je me souviens que J. Gracq parlait de « l’allegro furioso » de Stendhal ; le rythme que vous imposez à votre lecteur est plutôt celui de l’Andante…
Certains de vos fragments m’ont vraiment « touché » : je pense, par exemple, à celui, si simple : « La pluie régulière dans le matin raconte autre chose que les événements du monde. » Dans le Nord où j’habite, j’ai fait souvent cette expérience sans pourtant parvenir à la nommer. Je ne pourrai plus observer la pluie, de mon appartement, sans penser à ce que vous avez écrit.
Je suis extrêmement sensible à votre réflexion sur le fragment et l’aphorisme. J’avais travaillé sur l’écriture fragmentaire chez Blanchot, en DEA de philosophie, et le fragment me reste chose mystérieuse. Vous ouvrez là aussi des voies « musicales » : votre réflexion sur l’aphorisme qui « retentit », son ruthmos originaire, sa détonation qui est aussi ouverture sur l’horizon qui est lui-même incessant dépassement de soi… il me faut, grâce à vous, repenser tout ceci.
Cher Monsieur Munier, je vous remercie encore pour ce livre dont j’espère avoir l’occasion de vous parler. Je vous envoie en retour quelques modestes poèmes.
Recevez toutes mes amitiés,
Sébastien Hoët
La Madeleine (59110), le 26 avril 2001
Cher Monsieur Munier,
Pardonnez-moi de répondre tardivement à votre envoi dont la dédicace nous a beaucoup touchés, Myriam et moi. Je suis débordé par des travaux de toutes sortes en ce moment.
Il est curieux comme depuis notre entretien je ne puis vous lire sans entendre votre voix, et c’est d’autant mieux. Je me suis empressé de lire La Chose et le nom* : j’aime toujours autant l’Opus incertum, et j’en vois la perpétuelle modification au long du temps de la notation. Il me semble que ce second volume s’est resserré autour de la capture du rien alors que le premier volume notait encore beaucoup les variations d’un paysage, d’une floraison, etc.
La mort se fait aussi plus insistante, non comme peur mais possibilité d’ouverture à la dimension néante du monde. Une lecture ne peut épuiser un tel ouvrage, fourmillant, mais la question qui me revient est celle-ci : la pensée de la mort fait-elle partie du « Schritt zurück »** dont nous parlions il y a peu ? Et, en tant que telle, faut-il la comprendre comme l’accès à une pure immanence – vous écriviez déjà, dans Requiem, que, par la mort, « on ne sort pas du monde » – au monde dont nous sommes difficilement capables pendant la vie ?
N’est-ce pas le mouvement même de la vie, qui nous conduit à poser un ailleurs fictif, alors que la mort nous fait rentrer, enfin, dans le monde ?
Ceci ne peut être bien sûr que paradoxal…
J’espère que vous vous portez bien en ce temps désagréable car infiniment changeant, et je vous remercie encore de l’envoi de ce beau livre que je vais « retravailler » bientôt.
Je vous envoie mes amitiés,
Sébastien
* La Chose et le nom, (Opus incertum II 1982-1983), Montpellier, Fata Morgana, 2001
**Schritt zurück : le pas en arrière de Heidegger, qui demande à remonter à la fois au fondement des choses sédimentées (habitudes, savoirs constitués, …) et à l’origine de la pensée, avant la métaphysique, c’est-à-dire aux Présocratiques. (Note de l’auteur)